Pendant quatre générations, la famille Lewis a exercé une influence considérable sur la société et la politique canadiennes. Moishe, David, Stephen et Avram « Avi » Lewis ont tous consacré leur vie à la défense des travailleurs et des droits sociaux.
Premier d’une lignée d’illustres activistes sociaux canadiens, Moishe Lewis voit le jour en 1888, à Svisloch, une bourgade juive située dans l’actuelle Biélorussie. Très tôt dans sa vie, il devient l’un des principaux dirigeants du Bund local, un mouvement socialiste juif militant pour l’émancipation des travailleurs juifs. Au lendemain de son arrivée à Montréal en 1921, Moishe Lewis commence à travailler dans une usine de vêtements dirigée par son oncle. Militant toujours en faveur des droits des travailleurs, il devient bientôt membre du Workmen’s Circle en plus d’agir à titre de secrétaire du Canadian Jewish Labour Committee, poste qu’il occupera pendant plusieurs décennies.
En 1947, le premier ministre William Lyon Mackenzie-King autorise un certain assouplissement des restrictions relatives à la politique migratoire canadienne. Les changements apportés par le gouvernement fédéral permettent au Jewish Labor Committee, alors dirigé par Kalman Kaplansky, Moishe Lewis et Bernard Shane, de mettre en œuvre un nouveau programme appelé le « Tailors Project ». Conçu pour aider les réfugiés juifs à intégrer l’industrie canadienne du textile, le Tailors Project s’inscrit dans le vaste cadre du programme fédéral du travail de 1947, dont le but consiste à stimuler l’économie canadienne en recrutant des travailleurs spécialisés parmi les personnes déplacées en Europe. En 1975, le Jewish Labour Committee rend hommage au militant montréalais en créant la Fondation Moishe Lewis.
Avocat spécialisé en droit du travail, David Lewis, le fils de Moishe Lewis, est lui aussi très engagé sur les plans social et politique. À l’instar de son père, il laissera une marque indélébile sur le paysage politique canadien. Au cours de sa carrière, il participe entre autres à la création de la Fédération du Commonwealth coopératif (FCC), l’ancêtre du Nouveau Parti démocratique (NPD), dont il est également le cofondateur. Pendant ses études à l’Université McGill, David Lewis se fait notamment connaître grâce à ses talents de débatteur et de rédacteur. Élève brillant, il devient l’un des premiers étudiants juifs à recevoir la bourse Rhodes. Celle-ci lui permet d’aller étudier le droit à l’Université d’Oxford. Le jeune homme deviendra bientôt l’une des figures de proue du Parti travailliste britannique.
De retour à Montréal au milieu des années 1930, David Lewis participe à l’implantation d’une version canadienne de la démocratie sociale. Son fort penchant socialiste se manifeste en diverses occasions, notamment à l’occasion d’un entretien avec sir Edward Beatty, le président du chemin de fer Canadien Pacifique. Lorsqu’on lui demande quelle serait la première chose qu’il ferait s’il était élu premier ministre, Davis Lewis répond sans hésiter : « Je nationaliserais le Canadien Pacifique». En 1935, David Lewis décline une invitation à travailler au Parlement britannique, préférant plutôt terminer un diplôme en droit à l’Université d’Ottawa. L’année suivante, il devient secrétaire fédéral de la FCC, poste qu’il occupera pendant 14 ans. Lors de l’élection fédérale de 1943, il se présente sous la bannière libérale dans la circonscription fédérale de Cartier. Au terme d’une campagne particulièrement vicieuse, il doit s’avouer vaincu devant son rival communiste Fred Rose, un membre du Parti progressiste ouvrier.
Les efforts de David Lewis visant à faire avancer la cause sociale-démocrate au Canada le mènent à s’entretenir avec des dirigeants politiques et des chefs syndicaux engagés dans les luttes ouvrières qui ont cours à Montréal. Très critique envers le communisme, David Lewis s’appuie sur sa brève expérience à titre d’avocat spécialisé en droit du travail pour encourager les membres des syndicats à soutenir la démocratie sociale. Publié en 1943, son livre intitulé Make This Your Canada : A Review of CCF History and Policy (Un Canada nouveau : vue d’ensemble de l’historique et de la politique du mouvement C.C.F.) retrace le parcours du parti social-démocrate en mettant en lumière ses orientations politiques et sa position favorable à un contrôle étatique sur l’économie. Bien qu’il soit jugé plus controversé que son prédécesseur, Tommy Douglas, David Lewis remporte finalement un siège au Parlement. En 1962 et en 1965, il parvient à se faire élire dans la circonscription de York South à Toronto, et ce, malgré sa difficulté à convaincre les Juifs aisés qu’un athée non sioniste aux penchants socialistes peut bien les représenter au Parlement.
En 1961, l’engagement de M. Lewis à l’égard du mandat socialiste de la FCC contribue à l’émergence de son successeur, le NPD. Dix ans plus tard, l’avocat est nommé à la chefferie du tiers parti. Seul Juif à diriger un parti national au Canada, David Lewis fait campagne contre les « entreprises soutenues par des fonds publics » en plus de paver la voie à l’adoption de lois favorisant l’accès à des logements abordables. À la suite de sa défaite électorale de 1974, M. Lewis devient correspondant de voyage pour le Toronto Star. Après avoir terminé sa carrière comme professeur à l’Université Carleton à Ottawa, il s’éteint en 1981 à l’âge de 72 ans.
Troisième de sa lignée, Stephen Lewis est un homme politique, diplomate et activiste social natif de Montréal. Comme l’ont été avant lui son père et son grand-père, il compte parmi les figures de proue de la gauche progressiste, et ce, autant aux échelons national qu’international. Il est surtout connu pour son travail visant à enrayer le VIH/sida. De 1970 à 1978, Stephen Lewis assume la direction du NPD ontarien. Durant les années 1980, le gouvernement de Brian Mulroney le nomme ambassadeur du Canada auprès de l’Organisation des Nations Unies. En 1995, M. Lewis devient directeur général adjoint de l’UNICEF avant d’être nommé conseiller spécial des affaires africaines auprès du secrétaire général des Nations Unies en 2001. Puis, en 2003, il crée la Stephen Lewis Foundation, un organisme venant en aide aux victimes du VIH/sida. Il est en outre professeur à l’Université McGill ainsi qu’à l’Université Ryerson. En plus de recevoir plusieurs doctorats honorifiques, M. Lewis se voit décerner un nombre considérable de prix et de distinctions au cours de sa carrière. Au début des années 2000, il est nommé compagnon de l’Ordre du Canada avant de voir son nom figurer sur la liste des 100 personnalités les plus influentes au monde selon le Time Magazine. En 2007, le Royaume du Lesotho, un petit état d’Afrique australe, investit M. Lewis du titre de chevalier commandeur de l’Ordre de Moshoeshoe. Puis, en 2012, le magazine Maclean’s le nomme l’homme le plus important de l’année. Finalement, la même année, M. Lewis devient le tout premier récipiendaire canadien de la Médaille du jubilé de diamant de la reine Elizabeth II.
Stephen Lewis est marié à la journaliste, auteure, et militante sociale Michele Landsberg. Auteure de trois ouvrages à succès et officière de l’Ordre du Canada, elle est l’une des premières journalistes canadiennes à avoir soulevé le problème du harcèlement en milieu de travail. Stephen Lewis est également le père d’Avram « Avi » Lewis. Avec son épouse, la journaliste et auteure canadienne Naomi Klein, M. Lewis compte parmi les membres les plus influents du NPD. Au cours de sa carrière médiatique, Avram Lewis agit notamment à titre de commentateur politique pour la chaîne télévisée MuchMusic en plus d’animer l’émission de télévision CounterSpin, diffusée sur les ondes de CBC Newsworld. Également très actif derrière la caméra, il réalise de nombreux documentaires, dont Why Democracy en 2007.
Remerciement spécial au Musée du Montréal Juif.
Sources :
http://imjm.ca/location/1414
http://www.imjm.ca/location/1555
http://www.revparl.ca/9/3/09n3_86e_bournet.pdf
http://www.cjhn.ca/fr/permalink/cjhn277
http://www.dcf.ca/en/scholarships/david_lewis.htm
https://en.wikipedia.org/wiki/Moishe_Lewis
http://www.cbc.ca/player/play/2212119454
http://www.stephenlewisfoundation.org/who-we-are/about-stephen-lewis
King, Joe et Johanne Schumann (2000), From the Ghetto to the Main: the Story of the Jews of Montreal, Montréal, Montreal Jewish Publication Society.
King, Joe (2009), Fabled City: the Jews of Montreal, Montreal, Price-Patterson.
Lewis, David et F. R. Scott (1943), Make This Your Canada; a Review of C.C.F. « History and Policy », Toronto, Central Canada Pub.
Lewis, David (1981), The Good Fight: Political Memoirs 1909-1958. Toronto, Macmillan of Canada.
Smith, Cameron (1989), Unfinished Journey: the Lewis Family, Toronto, Summerhill.
Tulchinsky, Gerald (1998), Branching Out: the Transformation of the Canadian Jewish Community. Toronto, Stoddart.