À partir de 1900, un grand nombre de Juifs est-européens immigrent à Montréal et prennent racine dans la ville. Venus de l’Empire des tsars, ces nouveaux arrivants apportent une culture ashkénaze, qui compte plusieurs siècles d’existence et qui a entre autres permis l’émergence d’une littérature de haut niveau en langue yiddish.
Parmi les personnes qui s’installent dans la métropole à cette époque se trouvent un certain nombre de lettrés, qui vont donner naissance au Québec à un courant culturel de langue yiddish, le plus important en Amérique du Nord après celui qui a fleuri dans la ville de New York. Cette grande influence culturelle au sein du milieu juif montréalais est méconnue à l’extérieur de la communauté juive, car très peu d’études et de traductions parues en français en font mention.
Le mouvement littéraire yiddish prend forme dans la métropole lorsqu’un immigrant d’origine polonaise, Hirsch Wolofsky, lance en 1907 le quotidien Keneder Adler (L’Aigle canadien) sur le boulevard Saint-Laurent. À l’époque, Montréal compte suffisamment de Juifs pour que le projet s’avère rentable. Voyant que sa publication en langue yiddish possède un ascendant manifeste sur le public juif, M. Wolofsky fait appel à l’éminent intellectuel est-européen Reuben Brainin pour diriger son journal. Celui-ci arrive dans la ville en 1912 et dynamise en quelques années le milieu culturel yiddishophone, notamment en appuyant la création d’écoles et d’une bibliothèque publique juives. L’influence de cette dernière sera considérable au cours des décennies suivantes.
La littérature yiddish prend son envol à Montréal en 1918, au moment où un jeune ouvrier de l’industrie textile, Jacob-Isaac Segal, publie un premier recueil de poésie intitulé Fun mayn velt (De mon univers). L’opuscule contient déjà, sous une forme embryonnaire, les grandes tendances de la littérature yiddish montréalaise en devenir, dont une forme très moderniste, une ouverture sur le monde et un désir de chanter la vie urbaine. D’autres voix se joignent à celle de M. Segal au cours de l’entre-deux-guerres, notamment celles de Sholem Shtern, de Yudica et d’Ida Maze. Après la guerre, des survivants de l’Holocauste arrivent dans la ville et approfondissent le sillon littéraire déjà entamé, dont Chava Rosenfarb, auteure en 1948 d’un recueil de poésie intitulé Di balade fun nekhtikn vald (La ballade de la forêt d’hier). Mme Rosenfarb publie aussi une très émouvante description en trois volumes de la vie dans les camps de concentration nazis. Cette œuvre est d’abord publiée à Tel-Aviv en 1972 sous le titre Der boym fun lebn (L’arbre de vie).